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  • Photo du rédacteurIsabelle Fleury

L'éducation en temps de crise : Plaidoyer pour plus de respect et d'humanité

Dernière mise à jour : 25 juil. 2023

J’ai ce sentiment au travers de la gorge qu’on oublie les enfants depuis le début de cette pandémie. Je ne parlerai pas ici de tous ces enfants confinés dans des milieux toxiques où ils sont en danger, même si je pense à eux. De façon plus générale, les enfants sont privés depuis deux mois de leurs amis, de leurs grands-parents, de leurs activités sportives et artistiques, des modules de jeux au parc, de leur fête d’anniversaire, du matériel qu’ils ne peuvent pas récupérer à l’école (comme des souliers). Mais surtout, les enfants sont privés d’un de leur droit fondamental : l’éducation. Un droit reconnu notamment par la Loi sur l’instruction publique du Québec et la Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies.


Je crois que notre gouvernement est de bonne foi et fait, comme nous tous, de son mieux dans des circonstances difficiles. Mais je déplore le manque de respect et d’humanité avec lequel on envisage la réouverture des écoles au Québec. Cette crise aurait pu être une occasion en or de valoriser l’éducation et le personnel enseignant. Elle laisse plutôt un goût amer de mépris, où on semble une fois de plus oublier qu’une école est peuplée de ce qu’on appelle : des êtres humains.


Je cite le ministre Jean-François Roberge, dans un débat à RDI en 2018, alors qu’il était porte-parole de la CAQ en matière d'éducation et d'enseignement supérieur : « Les enseignants portent le réseau à bout de bras » et font preuve d’un « dévouement incroyable ». Il souhaite revenir à l’époque des grandes réformes, « remettre les écoles entre les mains des communautés » et « amener chaque jeune à développer son plein potentiel ». Dans le « Plan de valorisation de la profession enseignante », la CAQ concède que « nous n’avons pas su, collectivement, reconnaître le rôle fondamental que joue le personnel enseignant dans notre société. » On admet l’urgence de rehausser le statut de la profession enseignante, en reconnaissant le statut d’expert des enseignant(e)s, en augmentant le salaire à l’entrée et en améliorant les conditions de travail.


C’est beau, hein? On a envie d’y croire.


Que reste-t-il de ces idéaux en temps de pandémie?


Il y avait cette idée, populaire dans le milieu éducatif, d’offrir une fréquentation scolaire à temps partiel. Pourquoi? Pour permettre à chaque enfant de revenir dans sa classe avec son enseignante titulaire, dans un contexte de pénurie d’enseignants, de pénurie de locaux et de règles sanitaires strictes de la santé publique. Une solution simple, humaine et pédagogique; une partie de l’apprentissage se fait en présentiel et l’autre à distance. Le temps passé à l’école est ainsi un temps consacré à une éducation de qualité, par du personnel qualifié qui a créé un lien privilégié tout au long de l’année scolaire avec l’enfant et ses parents. Cette idée a été proposée au ministre Jean-François Roberge par les députées Véronique Hivon (PQ) et Christine Labrie (QS). Si on reconnaît le statut d’expert des enseignants, on doit reconnaître la valeur pédagogique et éducative de leurs idées.


La réponse du ministre? « Si on y va par demi-journées, on offre aussi un demi-service ».


Sa solution?


  • Transférer des enfants dans un autre groupe, dans un autre local et avec un autre enseignant, pour ne pas excéder 15 élèves par classe, en respectant les 2 mètres de distance entre chacun;

  • transférer des élèves du primaire dans les locaux des écoles secondaires;

  • transférer des enseignants du secondaire au primaire;

  • transférer des enseignants du primaire dans d’autres classes, voire d’autres écoles;

  • engager des suppléants.


Cette solution théorique engendre dans les faits anxiété, incompréhension, déchirement, dévalorisation, exaspération, sentiments d’abandon et d’impuissance. On traite les enfants et le personnel enseignant non pas comme des êtres humains méritant respect et dignité, mais comme des objets dépourvus d’intelligence et d’émotions, qu’on peut manipuler et déplacer à volonté. Des enfants pleureront, des parents renonceront à contrecœur à l’école, des directions refuseront des demandes légitimes pieds et mains liés, des enseignantes épuisées quitteront la profession. Il va de soi que des enfants seront simplement sacrifiés : transférés dans un nouveau groupe avec un nouvel enseignant, qui fera de son mieux dans un contexte absurde.


Des exemples?


  • Une enfant de 6 ans se retrouve dans un groupe avec des enfants qu’elle ne connaît pas. Elle perd le lien privilégié qu’elle a depuis plusieurs mois avec son enseignante qui connaît ses forces et ses défis. Elle ne comprend pas pourquoi c’est elle, l’élève calme qui écoute bien les consignes, qui perd son enseignante, et pas l’autre. Que ressent-elle?

  • Un enfant de 6e année est propulsé dans une immense école secondaire qu’il n’a jamais visitée, sans avoir la possibilité de dire adieu à une école où il a passé 7 ans de sa vie. (J’ai aussi une pensée ici pour les élèves de 5e secondaire.) Que ressent-il?

  • Un enseignant de musique au secondaire est réaffecté comme titulaire dans une classe de 2e année du primaire, même s’il n’a pas les qualifications et l’expérience requises. Il y a confusion, puisqu’on lui demande aussi d’effectuer un suivi auprès de ses élèves du secondaire en confinement et de continuer de faire des beaux projets musicaux (avec son ordinateur personnel et des logiciels payés de sa poche). Il veut bien aider, mais ce pourrait-il qu’il ait l’impression qu’on dévalorise sa profession et sa formation?

  • Une enseignante de maternelle est réaffectée dans une classe de 6e année avec des élèves qu’elle ne connaît pas, car seulement 4 élèves de sa classe habituelle ont confirmé leur retour à l’école. Ces élèves sont transférés dans un autre groupe, parce qu’on n’a pas assez de locaux pour ouvrir une classe de seulement 4 élèves. La semaine suivante, 8 enfants de sa classe de maternelle reviennent selon le libre choix des parents, et ils sont répartis où on leur trouve une place. Malgré le fait que 12 de ses élèves soient maintenant de retour à l’école, l’enseignante de maternelle doit continuer d’enseigner en 6e année, tout en poursuivant le suivi à distance de ses élèves de maternelle restés à la maison. Ce pourrait-il qu’elle soit désemparée et qu’elle ait le sentiment qu’on se fout complètement de l’importance du lien affectif que développe un enfant avec son enseignante?

  • Une suppléante inexpérimentée se retrouve avec des élèves présentant plusieurs difficultés auxquelles aucune formation universitaire ne pouvait préparer (un autre problème en soi), dans un contexte où tout le monde est débordé et où il est difficile de lui venir en aide. Ce pourrait-il qu’elle vive une grande désillusion sur le métier d’enseignante et remette son choix de carrière en question?

  • Quelqu'un a-t-il pensé aux classes spécialisées? Qu'arrive-t-il aux enfants autistes, à ceux ayant des troubles anxieux ou des déficiences multiples, qui ont déjà du mal à s'adapter aux petits changements?

  • Les enfants sont des enfants. Ils ont besoin de jouer, de bouger, d'être réconfortés. Deux mètres de distance? En tout temps? À quoi cela ressemblera-t-il? Est-ce réaliste?


Dans ces conditions, la fréquentation scolaire à temps plein se fera non seulement au prix de la qualité de l’éducation, mais aussi au prix de l’équité, de la justice et du respect des enfants et du personnel. Mais il n’a jamais été question d’éducation dans la réouverture des écoles. Le ministre Roberge le dit lui-même : tous ces changements pour les enfants se comparent à une expérience vécue dans un « camp de jour ». Si l’objectif du gouvernement est la mise en place d’un service de garde à temps plein, j’aurais aimé qu’il ait le courage politique de l’assumer, plutôt que de prétendre à un service éducatif.


Ce doit être moi, avec mon idéalisme, qui pense naïvement que le but premier de l’école, c’est l’éducation. Que « l’éducation est un outil puissant pour briser le cycle de la pauvreté; favoriser la survie, la croissance, le développement et le bien-être de l’enfant; et aplanir les inégalités sociales » (Unicef); que « le droit à l’éducation est vital pour le développement économique, social et culturel de toutes les sociétés » (Humanium); que lorsque « les adultes prennent des décisions, ils doivent penser à la façon dont elles vont affecter les enfants. » (Convention relative aux droits de l’enfant des Nations Unies)


Je ne vois pas en quoi cette pandémie nous donne le droit, en tant qu’adultes, de sacrifier nos enfants en leur manquant de respect et d’écoute. Ce sont de beaux êtres humains, dans toute leur diversité et leur complexité, qui comprennent très bien ce qui se passe. Comment peut-on accepter, collectivement, même en temps de crise, d’avoir une école dont la mission n’est plus d’éduquer? Accepterait-on que la mission d’un hôpital ne soit plus de soigner?

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